Travailler pour Buurtzorg, l’organisme ayant reçu une distinction pour la qualité de son soin à la personne, m’amène à rencontrer toutes sortes de patients. Mais je dois avouer que, chaque fois que je viens faire des soins à la femme dont je vais vous parler, je suis émue. Le travail que j’effectue auprès d’elle est lourd car la sclérose en plaque dont elle souffre la met en grande dépendance. Toutefois, son esprit est resté parfaitement clair.
Je sens bien que malgré sa maladie, elle ne s’est pas laissée submerger et qu’elle est restée vraiment humaine, sans aigreur ni rancune. C’est une belle personne, d’une grande générosité. J’ai très vite ressenti que notre relation allait bien au delà du simple soin et qu’elle était ouverte à tout ce que je pouvais lui proposer. Intouchable au plat pays, c’est ce que c’est. Cette femme doit avoir à peu près l’âge de ma mère et son mari, celui de mon père.
Ils m’accueillent toujours chaleureusement et nous plaisantons autour d’une tasse de café. L’humour permet souvent de relativiser certaines situations. Ce couple est plein de sollicitude pour les personnes qui viennent faire les soins. Nos échanges sont simples et chaleureux. Dans cette maison où le soin est devenu un rituel quotidien, mes clients ont fait le choix de la simplicité et de l’authenticité. Ils me font part de ce qu’ils souhaitent vraiment et je dois dire que cela me convient parfaitement. Je sens en eux un lâcher prise qui n’est pas un abandon mais plutôt une acceptation et cela m’apprend énormément. Même si ma journée a été rude, je suis sereine et me surprends à sif oter en garant ma voiture devant chez eux.
J’ espère que la lle de ma patiente sera présente car elle est un soutien important dans le groupe d’aidants qui entourent sa mère. Elle lui ressemble d’ailleurs comme deux gouttes d’eau. Je retrouve ses jolis yeux et son sourire généreux. Elle donne l’impression de rayonnerHier, j’ai eu le privilège de prendre soin de ma patiente en début de journée. Le mot patiente prend toute sa valeur car la pauvre a supporté patiemment ma maladresse de début de journée sans se plaindre. Je dois avouer que j’ai le sentiment d’être plus ef cace pour accompagner mes patients vers la nuit plutôt que de faire les soins du matin.
Et pourtant, malgré cela, le contact que nous avons, elle et moi est tel que je nis toujours par faire ce qu’il faut pour elle. Apres la douche, je l’installe sur sa chaise de toilette et la laisse seule dans la salle de bains pendant que je vais préparer le petit déjeuner.
En général, lorsque son mari est là, c’est lui qui s’occupe fort gentiment du café. Mais ce matin là, il est absent et ma patiente a envie de thé. Je vais donc dans la cuisine pour le préparer. Sur les sachets de thé Rooibos, il y a de petites étiquettes avec des questions pseudo philosophiques et, tout à coup, j’aimerai bien connaître les réponses que ma patiente pourrait faire.
Alors, en plaisantant, je lui dis qu’elle n’aura son thé que si elle répond à ces questions. Première question: Madame, de quoi êtes-vousétes-vous reconnaissante à la vie? Elle me regarde, rayonnante ,et, sans hésiter un instant, répond: Je suis reconnaissante à la vie pour m’avoir fait rencontrer l’homme qui partage mes jours et mes nuits depuis plus de 50 ans, pour m’avoir donné de beaux enfants et des amis dèles sur lesquels j’ai toujours pu compter cette femme est étonnante. Elle est la bonté même, toute de générosité pétrie, malgré son corps meurtri : Cela semble tellement évident quand on voit le nombre d’amis qui aujourd’hui encore, malgré la maladie qui, en général, fait fuir les gens, sont toujours dèlement à ses côtés. Bingo! Vous avez le droit de rejouer Elle sourit doucement.
Deuxième question Madame, avec qui aujourd’hui échangeriez-vous une journée de votre vie? La question posée, je me mets en retrait. Je la regarde, installée là , dans cette position si délicate, dépendante, dans sa salle de bains.
La réponse fuse : Je ne veux échanger avec personne, avec personne du tout! Alors là, pour le coup, je m’incline devant elle et lui dis tout le respect que j’ai pour elle. Mais je ne peux m’empêcher de me faire l’avocat du diable en insistant un peu et en lui demandant si elle n’aimerait pas récupérer ses capacités physiques, retrouver son corps en pleine forme, rien que pour un jour, juste pour ne pas devoir être dépendante des autres. – Non, vraiment Trudy, je vous assure, ça va. J’ai eu une belle vie. Émue, je lui réponds alors qu’elle a bien mérité un petit gâteau avec son thé et que, pour moi, c’est un réel plaisir de prendre soin d’elle.
Puis, une fois la toilette terminée, habillée, maquillée et parfumée, je l’installe dans son fauteuil roulant et la quitte bientôt pour retourner vers mon quotidien. En reprenant ma voiture, j’ai l’impression qu’à l’intérieur de moi, quelque chose a changé : mon coeur a grandi.
On ne peut que s’incliner devant une telle femme et relativiser ses propres soucis. Une telle sérénité force le respect.